Préambule
Nous rendons publique cette proposition, « pour une refondation de la démocratie locale en Guadeloupe ». Elle reste bien entendu ouverte au débat, c’est même sa finalité première. Nous tenons à préciser que nous sommes un collectif de la société civile guadeloupéenne, et nous ne représentons nullement toute la société civile. Cette dernière est composée de nombreuses associations et d’organisations non directement politiques, de même que des personnes, intellectuelles ou non, qui participent à la vie collective. Toute société a son histoire propre, tout un monde vécu qui la caractérise. Mais cela n’est pas suffisant pour en faire une société civile. Cette dernière advient grâce au « contrat social » qui institue la société politique au moyen d’échanges problématisant ce monde vécu dans un espace public potentiellement ouvert à tous et fonctionnant selon les exigences de la rationalité.
Nous restons persuadés que si la participation aux élections, en tant que citoyens, est un des fondements de la démocratie, celle-ci ne peut se résumer à ce seul exercice démocratique, fût-il incontournable. Les syndicats, les associations, les individus participent à la vie démocratique en dehors des périodes électorales. Seulement, leurs revendications sociales dans une démocratie authentique ne doivent pas perdre de vue toute éthique ni toute humanité dans l’élément de la responsabilité. C’est en ce sens que nous avons condamné les exactions commises au CHU de Pointe-à-Pitre, comme nous condamnons aujourd’hui avec la plus grande fermeté, l’usage de l’huile de vidange comme mode d’action syndicale, substance par ailleurs très toxique, versée dans les établissements de santé et dans les écoles.
Notre éthique nous commande, non seulement de condamner ces exactions et les injures qui les accompagnent, mais plus encore, d’intervenir publiquement avec vigilance pour remplacer ces injures par un débat argumenté. C’est en développant un véritable espace public guadeloupéen que nous pourrons construire un vouloir guadeloupéen, une sorte de volonté générale, fondée sur la rationalité et permettant de développer une véritable intelligence collective.
Tel est notre profond souhait.
Guadeloupe, le 2 mars 2022.
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Propositions pour une refondation de la démocratie locale en Guadeloupe
« La démocratie n’est pas une abstraction mathématique mais une expérience vivante du peuple »,
John Dewey.
S’il est bien un constat partagé par de nombreux observateurs, inquiets de la montée des extrémismes et des populismes de tous bords, c’est celui de la crise de la démocratie représentative, dans le Vieux continent, aux États-Unis, en Amérique latine, en Afrique, et singulièrement chez nous, aux Antilles.
Les causes de cette perte de confiance dans la démocratie, voire même d’une défiance généralisée à l’égard de nos représentants légitimement élus – et qui n’est autre qu’une crise majeure du politique et du « vivre-ensemble » –, sont sans aucun doute multiples et complexes. Pêle-mêle, nous pourrions citer le néolibéralisme qui tend à s’imposer comme une « raison-monde » et qui fait voler en éclats les solidarités acquises au travers de L’État providence, ou encore l’affaiblissement généralisé des espaces publics tels que conceptualisés par le philosophe Jürgen Habermas, du fait des nouvelles « disruptions technologiques » et de l’avènement incontrôlé des réseaux sociaux ; espaces publics pourtant consubstantiels à la démocratie.
Pourtant, nous en sommes convaincus, « la démocratie est le pire des systèmes, à l'exclusion de tous les autres » (Winston Churchill, 1947). En effet, que peut-il exister en dehors d’un régime démocratique, sinon la confiscation du pouvoir par un seul ou quelques-uns ?
Mais, force est d’admettre que les institutions démocratiques, en France comme ailleurs, n’ont pas su jusqu’alors évoluer avec leur temps. Il apparaît nécessaire d’engager tant au niveau national qu’au niveau local des réformes de fond, afin que ces institutions soient en congruence avec les demandes de plus en plus pressantes et légitimes de nos concitoyens. Ceux-ci ne veulent plus se contenter de mettre un bulletin dans l’urne, tous les cinq ans au niveau national, ou tous les six ans au niveau local, mais qui souhaitent davantage être associés à l’élaboration des normes et des politiques publiques qui ont un impact direct sur leur vie quotidienne.
Parmi les pistes possibles de réformes, et en particulier pour celles ayant trait à la vie politique locale, et singulièrement chez nous en Guadeloupe, nous voudrions ici formuler des propositions très concrètes, qui s’inspirent notamment des thèses très pertinentes du constitutionnaliste Dominique Rousseau sur la notion de « démocratie continue » (Radicaliser la démocratie, paru en 2015, et Six thèses pour la Démocratie continue, paru en 2022). Ainsi, nous croyons aux capacités des membres de la société civile, qui constituent les « forces vives » d’un pays, d’une région ou d’un territoire, et qui sont donc des acteurs incontournables de leur vitalité démocratique. Comment dès lors faire rentrer la société civile dans le jeu des différents acteurs de la démocratie locale ?
Il existe en Guadeloupe, et peu de concitoyens en ont connaissance, deux conseils consultatifs censés représenter la société civile, dans ses différentes composantes et ses corps intermédiaires : le Conseil économique, social et environnemental régional (CESER) installé dans toutes les régions de France, et le Conseil de la culture, de l'éducation et de l'environnement (CCEE) qui n’existe que dans les territoires ultramarins, depuis la loi de 1982 portant organisation des régions des DOM. Chez nous, le CESER comprend quarante-neuf membres, et le CCEE vingt-cinq membres. Les membres de ces deux instances ne sont pas élus, mais désignés par arrêté préfectoral (représentants des organisations syndicales et patronales, des chambres consulaires, du monde universitaire, culturel et sportif). Ces deux conseils sont obligatoirement consultés par la collectivité régionale sur les projets de budget de la collectivité, ainsi que sur tous les grands projets d’intérêt régional (il est d’ailleurs regrettable qu’ils ne soient pas consultés par le Conseil départemental, qui a pourtant en charge les solidarités sociales et territoriales). Mais le CESER et le CCEE peuvent aussi s’autosaisir s’ils le jugent nécessaire.
Or, nous voyons deux faiblesses intrinsèques à ces deux instances pourtant censées émaner de la société civile : elles ne sont que consultatives, sans droit de veto ni pouvoir d’initiative, et elles manquent largement d’autonomie à l’égard de la Région. Ces faiblesses pourraient d’ailleurs expliquer en partie, nonobstant les qualités individuelles de ses membres, le large assentiment et le peu d’esprit critique qui prévalent dans la plupart des avis rendus par le CESER et le CCEE, vis-à-vis de la collectivité régionale. Nous pouvons regretter par ailleurs que ces deux conseils ne disposent pas de leur propre site internet ni de supports de communication, et que jusqu’à ce jour très peu de rapports aient été rédigés par ces instances sur des problématiques et des enjeux d’intérêt régional. Comment dès lors s’étonner que le Conseil régional ne tienne jamais compte des avis de ces instances pour amender ou infléchir telle ou telle décision ? Du coup, le CESER et le CCEE, dans leur configuration et leur fonctionnement actuels, ne sont plus que de simples chambres d’enregistrement qui n’ont aucune influence sur les décisions régionales, contrairement à leur vocation initiale.
Par conséquent, nous proposons que le CESER et le CCEE fusionnent pour donner naissance à un nouveau « Conseil de la société civile », qui outre le fait qu’il serait obligatoirement consulté par la Région et par le Département sur leurs projets de budget et sur tout projet d’intérêt majeur pour la Guadeloupe, disposerait d’un réel pouvoir de véto et d’initiative. Ainsi, le « Conseil de la société civile » pourrait décider, à la majorité des 3/5e de ses membres, de demander le réexamen d’un projet de budget ou de politique publique soumis pour avis par la Région ou le Département, et la collectivité concernée serait tenue de délibérer à nouveau sur ce projet, en tenant compte des observations formulées dans leur avis. Bien entendu, dans tous les cas, la Région et le Département auraient le dernier mot.
Le Conseil disposerait aussi d’un pouvoir d’initiative, toujours à la majorité des 3/5e, en proposant à la Région ou au Département, selon le domaine de compétence concerné, d’étudier en assemblée plénière un projet porté par le Conseil, et d’intérêt régional manifeste. La collectivité concernée serait tenue de délibérer sur ce projet. Mais là encore, la Région et le Département auraient le dernier mot quant à l’issue de ce projet.
En outre, ce « Conseil de la société civile » pourrait être constitué de 60 membres, serait strictement paritaire, et serait composé pour un tiers des organisations syndicales et patronales représentatives, pour un autre tiers des représentants des chambres consulaires et du monde universitaire, culturel et sportif, et enfin pour un dernier tiers par de simples citoyens, désignés au tirage au sort selon les mêmes modalités que celles mises en œuvre lors de la constitution de la Convention citoyenne pour le climat. L’ensemble des membres de ce Conseil seraient désignés comme actuellement par arrêté préfectoral. Le renouvellement de ses membres aurait lieu tous les 4 ans, avec impossibilité pour chacun des membres d’effectuer deux mandats successifs. Lors de leur installation, les membres du Conseil bénéficieraient d’une formation initiale obligatoire sur les prérogatives et le fonctionnement de cette instance, mais aussi sur les compétences et l’organisation de la Région et du Département.
Afin de garantir l’autonomie du « Conseil de la société civile », celui-ci disposerait d’un budget de fonctionnement propre, assuré par une dotation spécifique qui constituerait une dépense obligatoire inscrite au budget de la Région et du Département, à l’instar du conseil économique, social et culturel de la collectivité de Saint-Martin. Le « Conseil de la société civile » disposerait d’un règlement intérieur rendu public, et élierait en son sein un président et un bureau. Le président serait ordonnateur du budget, et aurait autorité sur le personnel administratif mis à disposition par la Région et le Département. En outre, les postes administratifs vacants au sein du Conseil, feraient l’objet d’une publicité officielle de vacance de poste.
Ces propositions, qui pourraient grandement contribuer à redynamiser la démocratie locale en Guadeloupe, et permettre à la société civile de s’impliquer davantage dans les décisions politiques qui les concernent, s’inscrivent pleinement, selon nous, dans le champ de l’évolution institutionnelle. La République offre désormais la possibilité à chaque territoire, et plus particulièrement aux territoires ultramarins, de choisir à la carte les adaptations législatives et règlementaires qu’ils jugent pertinentes et nécessaires, au regard de leurs caractéristiques et contraintes particulières. Nous devons donc nous en saisir.
C’est pourquoi, nous nous adressons solennellement aux présidents de la Région et du Département, pour qu’ils prennent l’initiative de réunir prochainement le Congrès des élus départementaux et régionaux, conformément aux dispositions de l’article L. 5915-1 du CGCT, afin de débattre et de délibérer sur ces propositions d’évolution institutionnelle visant à la refondation de notre démocratie locale. Il reviendra ensuite au Gouvernement et au législateur d’opérer ces réformes voulues par les deux assemblées locales, et touchant au code général des collectivités territoriales, tant dans sa partie législative que règlementaire.
Les membres co-fondateurs du collectif « Guadeloupe, Ethique et Démocratie » et autres personnalités de la société civile :
Tony ALBINA, Rita AZAR, Jenner BEDMINSTER, Marcel BRIDE, Pierre-Yves CHICOT, Elyzabeth CHOMEREAU-LAMOTTE, Michel CORBIN, David DAHOMAY, Jacky DAHOMAY, Patricia DELMAS, Sonia DERIAU-REINE, Vincent DERUSSY, Danièle DEVILLERS, Harry DIADO, José DUBREAS, Dominique DUPONT, Michel EYNAUD, Jan-Marc FERLY, Hervé GUIBERT, Elisabeth GUSTAVE, Béatrice IBENE, Alain JOSEPHINE, Bruno JOFA, Olivier LABOISSIERE, Max LAURENT, Guy LUBETH, Viviane MELYON-DEFRANCE, Richard MANICOM, Nicolas MERON, Jean-Marc MONTOUT, Rosan MONZA, Errol NUISSIER, Harry OZIER-LAFONTAINE, Jacques PAUL, Pascale POIRVILLE, Emmanuel RAVI, Michel REINETTE, Pierre REINETTE, Michel RENE, Christian SAAD, Steve SALIM, Georges VILA, Claudette VILO.
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